À l’aube de la sortie de Douze sur douze, Loud parle avec calme et décontraction. L’artiste se trouve dans un moment particulier, après près de quinze ans à occuper une place centrale dans le rap québécois, de Loud Lary Ajust à ses projets solos qui l’ont propulsé au cœur du mainstream. Aujourd’hui, il aborde la réception avec recul; «Je suis plus capable de vivre avec toutes sortes de réceptions, comme de moins les prendre personnellement ou d'une manière dure», dit-il. «Je ne contrôle pas la réception, que ce soit de mon public fidèle ou juste du monde à l'intérieur.»
Ce détachement relatif s’est construit avec le temps. Loud décrit une période où les chiffres obsédaient tout le monde autour de lui. L’ascension fulgurante après Une année record l’avait forcé à mesurer son succès en données concrètes. «Tout d'un coup, on est super fascinés par les chiffres», raconte-t-il. Il se souvient du moment où l’équipe suivait les classements radio au jour près, où l’idée de topper un single devenait un objectif. «Pendant un moment, je pense qu'on chassait ça un peu.» Avec le recul, il voit les limites créatives de cette logique. Selon lui, ce qui a fait fonctionner ses premiers succès, «c’est qu’il n’y avait justement pas de stratégie claire». L’instinct, l’élan, la passion, voilà ce qu’il veut retrouver.
Douze sur douze est le résultat de cette volonté. Le projet est né dans des retraites de travail avec RuffSound et Ajust, ses producteurs historiques. Le trio s’enferme dans des chalets, amène tout le matériel, invite des collaborateurs de passage et cherche simplement ce qui leur parle sur le moment. «On essaie de sortir le plus de bonnes idées de ça pour voir qu’est-ce qui nous stimule en ce moment», explique Loud. Il n’y a pas de plan préétabli, seulement un processus large, puis une série de filtres qui resserrent l’album.
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L’écriture, toutefois, demeure un exercice solitaire. Loud écrit seul, parce qu’il écrit avec minutie et intention. «Je peux passer tellement de temps à juste chercher une ligne», confie-t-il.
Cette recherche minutieuse se retrouve dans les thèmes de l’album. Douze sur douze évoque la constance, l’effort continu, l’idée d’un cycle complet. Loud explique qu’il voyait le titre comme une manière de dire «12 mois sur 12», un travail sans pause qui reflète l’année passée à composer. Dans l’album, on retrouve justement ce rapport au temps: une introduction apaisée qui annonce un dialogue intérieur, des morceaux qui jouent avec la nostalgie sans s’y abandonner, et un regard lucide sur l’équilibre qu’il tente de maintenir entre carrière et vie quotidienne. Les chansons avancent avec la même intensité que son processus: un mélange d’instinct et de réflexion, de mouvements spontanés et de réécriture.
Les invités incarnent aussi cette approche; rien n’a été décidé d’avance. Par hasard, sa collaboration avec Ariane Moffatt, est née d’un sample que RuffSound voulait utiliser. Moffatt est revenue rejouer des pianos et ajouter des voix, jusqu’à transformer la pièce en un duo réel. Salomé Leclerc arrive dans une logique semblable, sur Entre nous, un morceau amorcé depuis deux ans, alors que Loud cherchait une perspective différente. Quant à Connaisseur Ticaso, il représente une volonté assumée d’aller chercher une voix posée, réfléchie. «Moi et Connaisseur sur un track trop hard, ça ne marche pas», dit-il. «J’ai beaucoup grandi sur sa musique, et évidemment j'écoute ce qu'il fait maintenant. Je voulais l’inviter sur un beat moderne dans sa forme, mais qui est quand même classique, un peu boom bap. J'aime Connaisseur quand il est un peu un sage, posé. Il a vraiment ses propres réflexions, je trouve.»
Loud aime aussi surprendre dans le format. Game Time en est l’exemple clair: un seul verse, un hook bref, un clin d’œil aux mixtapes qui ont façonné son ADN musical. Pour lui, ce morceau sert de trou normand, un moment sportif placé au centre de l’album. Il accepte que les chansons raccourcissent et que certaines lignes deviennent virales avant même que les gens n’entendent les morceaux en entier. Il en parle avec amusement, rappelant qu’il a lui-même a vécu une forme atténuée du phénomène avec Toutes les femmes savent danser, lorsque des enfants venaient aux concerts uniquement pour cette chanson.
En filigrane, l’album médite sur la durée: comment continuer à avancer, comment créer après tant d’années de cycles. Loud n’est pas nostalgique, mais il reconnaît que la tournée du dixième anniversaire de Blue Volvo lui a rappelé la force durable de ce passé. «Il y a certains shows qui étaient exactement comme je me souviens qu’on les avait laissés», dit-il. Cette énergie l’a nourri au moment de plonger dans un nouveau cycle créatif.
«J’espère que le monde vont l’aimer et le comprendre autant que nous», dit-il de Douze sur Douze. Il rêve surtout d’un projet qui résonnera autant en spectacle que sur l’enregistrement. Une tournée en février et mars avec Rymz, suivie de festivals et d’un retour en salles à l’automne, permettra de le confirmer.

















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